Green IT : l’IA impose davantage de sobriété numérique

Des racks de serveurs denses et énergivores répondent aux commandes vocales des utilisateurs d’IA, au détriment de l’environnement. Quelle piste d’amélioration emprunter ?

Trois experts réunis lors du Forum des solutions de Cybersecurité IA et Cloud de Paris ont présenté un constat alarmant en mars dernier, mais aussi quelques leviers d’actions à évaluer sans tarder.

Emmanuelle Olivié-Paul, présidente du cabinet d’analystes de marché Advaes et membre de l’association green IT (AGIT) rappelle que le phénomène green IT a émergé dans les années 2010. « Le numérique responsable et durable s’est amplifié depuis, avec la hausse de la consommation énergétique et celle des gaz à effet de serre ; il s’étend aux enjeux de gestion des ressources (eau, terres rares, déchets), à la durabilité et à la résilience des organisations, un véritable enjeu pour tous. » 

Où en sont les entreprises en France ?

Les usages d’IA énergivores se répandent dans tous les pays occidentaux. Heureusement, quelques chiffres du quatrième baromètre de l’AGIT, paru début mars, et mené auprès de 588 organisations sur l’Hexagone semblent encourageants: « En comparant les pratiques responsables entre 2020 et 2024, on constate une prise de conscience croissante, avec la progression de 27% à 39% des sondés disposant d’un référent numérique responsable, un profil souvent rattaché à la DSI et en lien avec la stratégie RSE. Seulement 5% des entreprises suivaient la transformation énergétique de leur entreprise en 2020 ; elles sont plus de la moitié à présent (55%). »  

D’autres indicateurs scrutent les évolutions par secteur. Ainsi, le cabinet Advaes constate-t-il que les acteurs des services numériques – éditeurs, ESN et prestataire cloud – tracent maintenant les émissions carbone en lien avec leurs activités (75%), leur consommation énergétique (61%) et, dans une moindre mesure, leur consommation d’eau (38%). « L’évolution est positive, mais il reste encore beaucoup à faire, pour atteindre les objectifs. » 

Martin Chauvin, manager data scientist chez Capgemini Invent, observe un fort impact de l’IA sur l’ensemble de la chaîne numérique : « L’impact de l’IA est multiple, en phase d’apprentissage du modèle, puis en phase d’utilisation. L’entraînement du modèle GPT-4 équivaut à la consommation de 5 000 maisons pendant un an. Pire, chaque requête soumise à ChatGPT consomme dix fois plus d’énergie qu’une recherche Google et on compte déjà 100 millions d’utilisateurs par mois. […] Lorsque l’entreprise bâtit des solutions logicielles, elle s’attache surtout aux gains tangibles pour les utilisateurs et au retour sur investissement, plus qu’aux impacts énergétiques et environnementaux. Le retour sur l’environnement devient majeur. Il faudrait mesurer l’impact sur toute la chaîne de valeur, notamment sa consommation d’énergie et d’eau. Selon la taille des modèles d’IA et l’architecture retenue, l’écart de consommation d’énergie peut atteindre un facteur 170. »    

Quels efforts peut-on faire ?

Plusieurs pistes d’amélioration peuvent être combinées : rationaliser les usages d’assistants conversationnels, d’agents et autres IA génératives, car « on a pas toujours besoin d’immédiateté ». On peut aussi chercher à optimiser les traitements et leur distribution, à défaut de pouvoir agir sur la conception des GPU.

François Tournesac, CEO d’Impleon et représentant de l’OCP (Open Compute Platform) en France, présente des leviers d’action complémentaires que l’on peut implémenter dès maintenant : « Le datacenter peut réduire sa consommation d’énergie de 40% via le free cooling, une technique qui abaisse la température des équipements par échanges de flux d’air. Pour aller plus loin, des capsules de refroidissement sont désormais placées directement au-dessus des unités de calculs. On peut également immerger des baies de serveurs dans des bains, réutiliser la chaleur dissipée pour dessaler l’eau de mer ou alimenter un chauffage urbain. La source d’énergie devient si importante que l’on réfléchit à bâtir des centres de calcul sous ou à proximité de centrales. Un nouveau marché se profile autour d’innovations telles que le glycol conçu à partir de maïs – et non plus de pétrole – pour refroidir les racks de GPU. »

La mutualisation de ressources forme une approche classique, le datacenter de colocation s’apparentant au covoiturage entre collègues de bureau, compare Emmanuelle Olivié-Paul. Selon elle, le rendement des équipements numériques pourra s’améliorer autour d’évaluations plus précises : « des référentiels de bonnes pratiques d’écoconception, centrés d’une part sur le matériel, et d’autre part sur les algorithmes existent. Au-delà des évaluations, on va piloter l’efficacité énergétique des modèles d’IA à l’aide d’un outillage plus avancé que de simples tableurs. On pourra ainsi faire des simulations, un suivi du cycle de vie des solutions en place, et se faire accompagner pour passer à l’échelle industrielle. » 

Elle regrette néanmoins que « les géants du cloud ne proposent pas toujours à leurs clients un choix de localisation pour leurs traitements, en zone européenne ou française. Cet élément ainsi que les sauvegardes et réplications menées entre datacenters influencent non seulement les émissions de carbone, mais aussi la confiance et la souveraineté de la solution. » 

Martin Chauvin recommande de soigner l’allocation des ressources externalisées, de retenir les GPU adaptés aux usages des métiers et l’écoconception dès le début du projet.

Enfin, François Tournesac souligne que tôt ou tard, l’entreprise devra payer l’impact énergétique des services d’IA qu’elle consomme dans le cloud. « La refonte actuelle de leurs infrastructures représente un coût majeur pour les prestataires en compétition. Nous sommes dans une transition technologique importante, pour laquelle il va falloir redessiner les datacenters. Recalculons le ROI et changeons l’architecture, » suggère-t-il.

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Auteur de l’article : la Rédaction

Journaliste et fondateur de l'agence éditoriale PulsEdit, Olivier Bouzereau coordonne la communauté open source OW2, conçoit des services et contenus en ligne, des conférences et formations pour les professionnels du numérique, des médias et de la santé. Profil LinkedIn.