Par Gerald Pfeifer, Vice-President des produits et technologies de SUSE.
Le terme « open source » est souvent associé aux logiciels accessibles à tous en tant que code source, gratuitement, à tout moment, et pratiquement sans restrictions. Sous sa forme originale, c’était vrai. Mais le concept d’open source est désormais bien plus vaste. L’open source fait partie de notre quotidien, sans que l’on s’en rende compte : il est à la base de sites collaboratifs tels que Wikipedia, des plans matériels d’Open Compute et des systèmes d’exploitation Android ou iOS.
Avec l’open source, tout un chacun peut analyser un logiciel, l’utiliser et le modifier à sa guise, créer un nouveau produit et partager le résultat. Il ne s’agit pas seulement d’un environnement pour les étudiants en informatique mais aussi pour les développeurs de logiciels à travers le monde, y compris dans des entreprises qui sont généralement concurrentes entre elles, et contribuent toutes à divers projets open source.
Au cœur du cloud et des mobiles
L’open source offre un espace propice aux idées brillantes et à l’accomplissement de projets. L’exemple le plus impressionnant est probablement l’histoire de Linux. Inventé en 1991 par l’étudiant finlandais Linus Torvalds, Linux constitue aujourd’hui le socle de bon nombre d’outils de notre quotidien, des systèmes d’exploitation pour PC et serveurs aux smartphones (Android) et autres appareils mobiles. De nombreux environnements cloud publics et privés, tels qu’Amazon et Google, ont un point commun : Linux est leur cœur technologique et l’open source coule dans leurs veines. Linux répond en effet présent pour les niveaux les plus élevés de performances : 99,6 % des super-calculateurs dans le monde et de nombreux clusters HPC reposent sur ce système libre.
Une chose est sûre : sans open source, notre vie quotidienne, l’économie et la science seraient méconnaissables. Mais à quoi ressemblerait un monde sans open source ?
Sans open source, des monopoles monotones
Un monde sans open source serait plus ennuyeux. Nous serions prisonniers de la grisaille de logiciels en situation de monopole : le marché des systèmes d’exploitation PC serait probablement dominé par Windows, et sur l’écran de leur smartphone, des milliards d’utilisateurs verraient la même chose : Symbian ou, au mieux, Windows Phone. Les fondements d’Android et d’iOS trouvent en effet leur origine dans Linux et l’open source.
Sans open source, l’innovation au ralenti
Imaginez ce qu’il serait advenu si Dennis Ritchie n’avait pas rendu le langage de programmation « C » accessible au plus grand nombre dans les années 70 ou si, un peu plus tard, la distribution BSD n’avait pas été développée, ou encore si Richard Stallman n’avait pas fondé le projet GNU en 1983.
Dans un univers aux codes sources fermés, nous ne connaitrions pas la transformation numérique telle que nous la vivons aujourd’hui et les progrès n’arriveraient que très lentement. Par ailleurs, la coopération se révélerait difficile : il faudrait trouver un terrain d’entente entre tous les systèmes propriétaires, sous la forme de standards communs ; chaque acteur souhaitant appliquer au maximum ses propres standards. Cela se traduirait par des négociations interminables, aboutissant à des compromis mal taillés. Et même si, en dépit de tous les obstacles, il était possible de s’entendre sur un standard multilatéral, celui-ci risquerait d’être obsolète à peine rendu public ou de devoir être revu à l’arrivée de tout nouveau partenaire, obligeant à reprendre les négociations à zéro.
Il en va tout autrement avec l’open source, où règnent des standards communs et « neutres ». En l’absence de ceux-ci, il nous faudrait renoncer à une innovation aussi fondamentale que le cloud, une technologie à la base de nombreux modèles économiques modernes, d’AirBnB à Uber. MacOS – si tant est qu’il existe – aurait une forme totalement différente car les développeurs d’Apple font eux aussi appel à des outils et composants open source.
En définitive, les logiciels fermés seraient plus atones, monolithiques et plus coûteux.
Sans open source, la recherche freinée
Bien que la devise « partagez votre connaissance pour le bien de tous » soit antérieure à la communauté open source, cette idée fait depuis longtemps partie intégrante de la communauté scientifique. Les super-calculateurs et les clusters HPC permettent l’analyse de données massives, collectées par les chercheurs. L’open source joue également un rôle dans la médecine, avec par exemple la tomographie informatique ou l’IRM.
Nous sommes aussi entourés par l’open source dans notre vie quotidienne, à l’image des transports. La GENIVI Alliance, qui compte notamment parmi ses membres BMW et Intel, a ainsi pour vocation le développement de systèmes d’info-divertissement open source pour les véhicules. De nombreuses compagnies aériennes exploitent également d’ores et déjà cette technologie.
Sans open source, pas de transformation numérique
Force est de constater que, sans l’open source, nous ne connaîtrions pas les avancées technologiques que nous côtoyons aujourd’hui. Fort heureusement, nous n’avons pas à nous soucier d’un tel scénario, tant il est improbable que l’open source disparaisse. Et, quand bien même cela arriverait, nous ne tarderions pas à « réinventer » le concept.
La valeur de l’open source réside avant tout dans sa communauté, dont le potentiel est énorme. Sa force réside dans sa diversité (du fait que chaque participant apporte sa propre personnalité), son engagement et son mode de pensée hors des sentiers battus.
Il n’est guère surprenant que de nombreux grands noms se soient implantés dans le monde open source : non seulement ils en tirent profit mais ils y contribuent activement.
L’utilisateur final, lui aussi, tire profit de l’open source à travers une grande variété de technologies et de produits au quotidien, souvent sans même s’en rendre compte. La société dans son ensemble évolue avec les avancées techniques et les nouveaux modes de communication et de collaboration.
Un monde sans open source est donc difficilement concevable. Et, de fait, nous aurions des difficultés à nous passer de l’open source… même si nous essayions.